Les protestations des camionneurs seront-elles la chose qui brisera finalement les chaînes d’approvisionnement ?

La série de manifestations organisées au début de l’année par les camionneurs américains et canadiens contre les mesures de protection COVID-19 a provoqué des embouteillages gênants dans une poignée de villes. Mais on peut se demander s’ils représentent une menace sérieuse et à long terme pour une chaîne d’approvisionnement déjà mise à mal.

C’est en tout cas le point de vue d’Adam Compain, vice-président senior de project44, un fournisseur de logiciels et d’analyses pour la visibilité de la chaîne d’approvisionnement.

Les protestations ont commencé le 22 janvier, lorsqu’un convoi de camionneurs a quitté la Colombie-Britannique en direction d’Ottawa, la capitale canadienne. Leur motivation apparente était de manifester contre une nouvelle exigence selon laquelle les camionneurs passant du Canada aux États-Unis doivent être vaccinés contre le virus COVID-19.

L’action a encombré les rues d’Ottawa pendant environ deux semaines. Les manifestants et leurs camions ont également bloqué le pont Ambassador, qui relie Windsor (Ontario) à Detroit (Michigan), pendant près d’une semaine. Des manifestations similaires ont eu lieu dans les villes canadiennes de Toronto, Québec et Calgary.

Les manifestations canadiennes ont été stoppées à la mi-février par un décret d’urgence du Premier ministre Justin Trudeau, autorisant les arrestations et le remorquage des véhicules. Mais elles ont rapidement eu un effet d’entraînement, conduisant à un convoi qui a encombré les rues de Washington D.C. pendant quelques semaines en mars, puis à Sacramento, en Californie. D’autres actions de ce type ont été observées à l’étranger, en France, en Belgique, en Nouvelle-Zélande et en Finlande.

Les protestations ne pouvaient pas tomber à un pire moment pour les chaînes d’approvisionnement, qui ont déjà été pratiquement paralysées ces derniers mois par la congestion des principaux ports américains, des cours de triage intermodales et des entrepôts. On pourrait se demander si l’action des camionneurs ne sera pas la goutte d’eau qui fera déborder le vase. Mais M. Compain estime que cette crainte est injustifiée, du moins pour l’instant.

La couverture médiatique du blocage du pont Ambassador a eu tendance à faire du sensationnel, dit-il. Il y a effectivement eu une augmentation de 28 % du temps de livraison des colis sur le dernier kilomètre en quelques jours, mais « l’impact réel s’est produit plus tard que ce qui a été rapporté, et a été moins grave qu’il ne l’a semblé au lecteur général ».

Au final, selon Compain, le retard « n’était pas plus important que ceux résultant d’une chute de neige de fin janvier. »

Des photos de la zone ont montré un blocage total apparent des routes de la région, mais il existait un itinéraire alternatif qui ne nécessitait qu’un retard de 75 à 90 minutes, précise M. Compain. « Parce que l’histoire s’accumulait, les transporteurs ont pu planifier à l’avance et emprunter cet itinéraire différent dès le départ. » Les consommateurs ont été légèrement incommodés, mais le retard supplémentaire a eu un impact plus sérieux (bien que de courte durée) sur les opérations de fabrication juste-à-temps, notamment celles des constructeurs automobiles.

D’autres postes frontaliers entre le Canada et les États-Unis ont été touchés, mais pas assez sérieusement pour provoquer des blocages majeurs. Et malgré les rapports de congestion dans d’autres pays, les données n’ont montré « rien de très significatif », selon M. Compain.

La question reste cependant de savoir si les futures actions politiques risquent d’aggraver sérieusement les problèmes auxquels les chaînes d’approvisionnement sont déjà confrontées en raison des perturbations et des fermetures d’usines déclenchées par la pandémie, de la forte demande de biens de consommation et de la pénurie chronique de chauffeurs, en particulier dans le secteur des longs courriers. Les planificateurs de la chaîne d’approvisionnement doivent-ils ajouter la prévision de tels événements à l’ensemble des facteurs de risque potentiels ?

Il ne faut pas les ignorer, dit M. Compain, mais il est peu probable qu’ils aient un impact aussi grave que le ralentissement des ports du sud de la Californie ou le blocage temporaire du canal de Suez. (À ces perturbations plus critiques, on pourrait ajouter la possibilité d’un nouveau ralentissement, voire d’une grève, des dockers de la côte ouest cet été, si les négociations pour un nouveau contrat de travail ne se déroulent pas sans heurts). Les protestations des camionneurs, dit-il, « se sont avérées plus mineures ».

Mais que se passera-t-il si elles s’intensifient, poussées par le battage médiatique ? « Je ne pense pas qu’il faille paniquer », déclare M. Compain. « C’est une réalité que les perturbations volontaires ou involontaires vont continuer à surgir ».

En même temps, « nous avons vu que les chaînes d’approvisionnement sont très résistantes. Les fermetures et les vacances de l’année dernière n’ont pas été trop problématiques. » (Du moins, pas pire que ce que les chaînes d’approvisionnement avaient déjà connu pendant les deux années de COVID-19).

Selon M. Compain, la meilleure façon d’éviter les perturbations de toute nature est d’avoir accès aux données en temps réel et à la visibilité de la chaîne d’approvisionnement, afin de pouvoir prendre des mesures correctives rapidement et efficacement. Et si ce n’est pas le cas, il ajoute que les fournisseurs de services de transport devraient pouvoir demander : « Êtes-vous prompts à fournir de la transparence aux clients et aux fournisseurs ? La bonne nouvelle, c’est qu’au cours des deux dernières années, alors que nous avons vu plusieurs pailles qui ont fait déborder le vase, les chargeurs et les prestataires logistiques tiers ont continué à s’équiper de ces outils. »